92e commémorations du Génocide Arménien, pour un partage des mémoires

Publié le par Jules BOYADJIAN

Alors que la campagne présidentielle bat son plein, les 92e commémorations du génocide arménien sont marquées par un véritable partage des mémoires. La solidarité des génocides face au négationnisme est une véritable contestation au déni qui frappe tout les génocides. Expliquons cette réaction à mettre en parallèle avec la naissance du concept de génocidophobie et aussi l’inquiétude vis-à-vis de la non-intervention au Darfour.

Par Jules BOYADJIAN, Etudiant à Sciences Po Bordeaux.

Pour Agoravox, le média citoyen. 

Les veillées de commémorations du génocide arménien, organisées le 23 avril de chaque année, sont très intéressantes en ce qu’elles présagent de l’évolution de la cause arménienne. Ce sont en effet des associations de jeunesse qui sont chargées de l’organisation de ces évènements. A Paris, l’édition 2007 aura été marquée par des prises de parole de l’Union des étudiants juifs de France, de l’association IBUKA qui regroupe des rescapés du génocide rwandais, mais aussi du collectif Urgence Darfour. Symbole de cette réunion des mémoires, la projection du film-documentaire de Carla Garapedian, Screamers, mettant en scène dans leur rôle de militant pour la paix, le groupe de rock mondialement connu, System of a Down, qui œuvre pour la reconnaissance du génocide arménien outre-Atlantique et la prévention des crimes contre l’humanité, dans leur vie d’artiste comme dans leur vie privée. A Lyon c’est, l’association FRA Nor Seround, nouvelle génération arménienne, qui a reproduit pour la troisième année consécutive son projet appelé MémoArt, qui, comme son nom l’indique, sensibilise au travers de l’art sur le thème de la mémoire. Cet événement qui a donné lieu à des expositions d’artistes ayant mis leur don au profit de causes justes, pour un message de paix, parfaitement relayé par les interventions du collectif Reconnaissance, qui combat les crimes contre l’humanité ainsi que l’association Hyppocampe de lutte contre le négationnisme de l’Holocauste à l’université tristement connue de Lyon 3 (université où enseigne Bruno Gollnish). Sans oublier le collectif Urgence Darfour qui doit être écouté en ces périodes d’atrocités terribles dans cette région du Sud-Soudan.

 

On a donc fondamentalement une ouverture de ces commémorations à tous les génocides passés et la prévention face à des exactions futures comme c’est le cas aujourd’hui au Darfour. Il s’agit d’un partage des mémoires qui aboutit à une solidarité des peuples génocidés et un devoir collectif de respect du passé.

 

Des décennies durant, il y avait peut-être une intériorisation communautaire de ces souffrances. Désormais il existe une fraternité résultant d’une réaction face à des dangers communs et la progression du devoir républicain.

 

En quoi peut-on parler de devoir républicain ?

 

Les génocides sont des crimes suprêmes. Ils doivent être enseignés aux générations futures pour les préserver de telles barbaries. Dans cette perspective, l’étude comparée de génocide permet de forger une pédagogie républicaine plus forte et capable de sensibiliser sur toutes les manifestations de l’œuvre génocidaire. Ce devoir républicain conduit également à la lutte contre l’oubli. L’avènement de la modernité ayant exacerbé le concept de responsabilité en individualisme, le ciment national que constitue la mémoire s’est effrité au même titre que la solidarité. C’est un phénomène qui s’attaque à la République. Alors, le monde associatif agit de concert pour lutter contre cette propension forte à l’oubli en rappelant le danger des génocides. Le caractère multiple de ces messages permet à celui-ci de vibrer par delà les communautés au sein de la sphère publique et de favoriser l’écoute de la part de la population arménienne. En ce sens, ces associations servent la République en protégeant le patrimoine national que constitue la mémoire avec les valeurs de justice et de démocratie unissant la France. C’est une victoire de la République qu’il fallait souligner.

 

Concernant la réaction face aux dangers communs, la question du négationnisme et de la repentance face au crime de génocide est essentielle. Alors que le procès des responsables du génocide des Tutsis du Rwanda peine à aboutir, l’antisémitisme se perpétue et revigore les faussaires de l’Histoire au même titre que le négationnisme du génocide arménien se propage dangereusement et se transforme en une véritable génocidophobie.

 

Preuve en est, l’attaque pour diffamation de M. Faurisson sur M. Badinter, en raison des propos de l’ex-Garde des Sceaux, le qualifiant de faussaire de l’histoire. Ce procès est révélateur de ce que représente le négationnisme comme perpétuation, non seulement du mensonge, mais aussi de la supériorité du bourreau sur la victime. Ce n’est pas Faurisson qui doit prouver qu’il n’y a pas eu de génocide mais bien le descendant des victimes de la Shoah qui doit faire la démonstration que ce qu’il a avancé, en caractérisant ce pseudo historien de menteur, est bel et bien réel. L’inculpé demeure la victime, face au négationnisme qui perpétue l’offense. Ce procès montre combien la lutte contre le déni de génocide est un combat défensif, à la différence de la propagation de thèses négationnistes qui constituent un acte prémédité et d’oppression certaine.

 

L’antisémitisme demeure omniprésent dans notre société avec des entreprises telles que la profanation de stèles juives au cimetière Sainte-Marie du Havre le 21 avril dernier.

 

Aussi le message contre l’antisémitisme sera d’autant plus vibrant qu’il sera relayé par des descendants de victimes d’autres génocides.

 

La prise de conscience de cette nécessité d’agir en commun est d’autant plus forte dans la lutte contre le négationnisme du génocide arménien. Symbole de la mutation de ce négationnisme qui ne concerne plus seulement le génocide qui s’est abattu sur le peuple arménien, l’exposition sur le thème de celui des Tutsis du Rwanda et qui fut « reportée » suite à des pressions de l’état-major turc.

Naissance de la génocidophobie

En effet, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur le danger que représente le crime de génocide, l’organisation Aegis Trust[1], spécialiste en la matière, avait prévu une exposition de photographies traitant du génocide du Rwanda dont l’inauguration, prévue le lundi 9 mai 2007, devait se faire en présence du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon en personne. Ainsi que James Smith, directeur de l’organisation à l’initiative de cet évènement, l’avait précisé : le Département d’information publique des Nations unies avaient au préalable validé le contenu de l’exposition.

 

Alors que s’était-il passé ? Et pourquoi ?

 

 

Suite à l’aval des Nations unies, le jeudi précédent l’inauguration Aegis Trust avait donné la possibilité aux organismes représentants des intérêts divers de consulter librement l’intégralité des photos avec les explications correspondantes. C’est ainsi que les diplomates turcs ont découvert l’intolérable affront : l’évocation du génocide arménien.

 

Dans une optique tout à fait pédagogique, Aegis Trust avait jugé bon de faire la généalogie du concept du génocide, en expliquant, avec une totale rigueur scientifique, que l’inventeur de cette notion, le sociologue juif survivant de l’Holocauste, Raphaël Lemkin, avait fondé ses recherches sur les massacres, alors très récents à l’encontre du peuple juif, au même titre que ceux subis par la population arménienne en 1915[2], preuve ultime de la nature génocidaire de ces exactions.

  

S’en est suivi l’habituelle campagne de pressions permanentes, menée par les représentations de la délégation turque au sein des Nations unies, couronnée comme trop souvent encore de succès, et ce fut l’annulation de cette exposition... sur le génocide au Rwanda.

 

Cet événement présage sans aucun doute d’une évolution de la stratégie négationniste de la Turquie qui appelle donc à une solidarité des peuples génocidés.

 

Le crime de génocide, expression d’une haine absolue, ne peut être cerné selon toute sa perspective, au travers du bilan humain. Résultant de l’intelligence contre les peuples, d’une solution finale préméditée, le génocide implique une dimension psychologique, scientifique et bien évidemment politique, qui le distingue d’autres crimes contre l’humanité. C’est pourquoi l’évocation de ces crimes ne peut se dédouaner de l’étude conceptuelle. Autrement dit, il serait pour le moins réducteur de transmettre les enseignements sur les génocides, en éludant la démarche intellectuelle ayant abouti à sa découverte, en 1943 par Raphaël Lemkin, concept qu’il offrira au patrimoine de l’humanité adopté par les Nations unies en 1948. Or, si la notion de génocide puise ses racines de l’étude complémentaire, comparative ou plutôt devrait-on dire redondante des évènements subis par les populations arméniennes et juives, il devient alors incomplet, et donc erroné, de transmettre ce savoir scientifique en omettant volontairement les explications résultant du génocide arménien.

 

De même que la Turquie s’attaque ne serait-ce qu’à l’évocation du génocide arménien, ce n’est plus seulement aux évènements relatant les exactions subies par les populations arméniennes au début du siècle dernier que les diplomates turcs sont amenés à censurer, mais toutes les manifestations exhaustives traitant des génocides. Tout savoir scientifique étant diffusé par l’évocation de l’étude empirique de son créateur, la transmission du savoir concernant le concept de génocide devient de fait impossible, sans heurter la diplomatie turque.

 

Cela implique, que le négationnisme turc concernant le génocide arménien s’est transformé, si ce n’est psychologiquement au moins dans les faits, en une campagne à l’encontre de tous les génocides en tant que tels. D’où cette activité contre cette exposition qui ne concernait en aucun cas le génocide arménien, mais qui nécessitait sa mention, en vertu de la nature génocidaire des massacres du Rwanda, impliquant le recours aux origines de cette notion, à savoir les génocides des peuples juifs et arméniens. C’est pourquoi le négationnisme turc, initialement porté contre le génocide arménien, mue en une considérable et dangereuse génocidophobie dont le génocide des Tutsis a fait les frais très récemment mais qui pourrait tout aussi bien, à l’avenir, atteindre celui de la Shoah, et qui, dans tous les cas, porte déjà préjudice à la transmission auprès des générations futures, du savoir sur les génocides, non plus en tant que cas particuliers, mais désormais en tant que concept scientifiquement reconnu et juridiquement approuvé.

 

Cette évolution du négationnisme du génocide arménien interpelle évidemment les autres peuples génocidés. La Turquie demeure un exemple pour tous les éventuels auteurs de génocide ou autres crimes contre l’humanité.

 

L’impunité des négationnistes turcs motiverait-elle le gouvernement soudanais à agir avec si peu de retenue sur les populations du Darfour ? Le raccourci est trop rapide et peut-être caricatural mais il y a des points de convergence entre le négationnisme turc et l’argumentation provenant de Khartoum contre l’intervention des Casques bleus, dans la minimisation et l’inversion de la culpabilité justifiant les exactions par l’évocation abusive et en tout point erronée de la légitime défense. Dans tous les cas, cette action commune s’inscrit pleinement dans le socle républicain, protège le passé et alerte sur les dangers du présent et de l’avenir. C’est un enseignement fort, porté par ces nouvelles générations, qui doit se perpétuer pour asséner un coup fatal aux idéologies intolérables de l’antisémitisme, du négationnisme conduisant à ce que le passé se reproduise dans l’apathie généralisée.


[1] Pour plus d’information sur cette organisation, aller sur leur site Internet : http://www.aegistrust.org/

Publié dans Génocides

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